Je suis une femme libre. Je vote depuis plus de 70 ans, je peux me marier, me « démarier », rester célibataire, avoir des enfants, ne pas en avoir, travailler ou parcourir le monde, aimer la femme que je suis ou jouer dans la cour des hommes… Bref, ma vie est faite de l’ensemble des choix qu’il m’est permis de faire ou de ne pas faire. Un jour pourtant, je me réveille et je m’aperçois avec stupeur que je hurle derrière des barreaux aussi épais que mes rêves déçus : « Qu’ai-je fait de ma vie ? » À cette question, combien d’entre nous avons déjà répondu : « Rien, je n’ai rien fait de ma vie, et je ne ferai sans doute jamais rien car il est trop tard, à mon âge… Ma vie est un circuit automatique sur lequel je tourne en rond à grande vitesse depuis si longtemps qu’il m’est impossible de sortir du jeu. Un jour pourtant, le jeu s’enraye, c’est la panne : une crise cardiaque, un cancer, un divorce, un accident… Me voici éjectée du circuit automatique. Il y manquait l’essentiel : le désir. Le désir de rêver, le désir de créer, le désir d’être. Tout simplement. J’aurais dû savoir que ce désir ne s’enflamme qu’à lente, très lente vitesse, que cette lenteur est la seule clé qui puisse me sortir de mes prisons invisibles. Et si je prenais le temps de m’asseoir confortablement, de respirer profondément et d’observer dans le noir de mon espace intérieur, projeté comme sur un grand écran, le film de ma vie ? Alors, je laisserais défiler le générique de fin et je me demanderais si j’ai aimé ce film, si j’aurais changé quelque chose au scénario, un personnage, une situation, un lieu, un sentiment, un rythme, une musique… Je reviendrais dans ma vie quotidienne mais je serais différente car j’aurais commencé à gommer, sur la fenêtre de ma prison intérieure, un premier barreau, puis un deuxième, un troisième… Mais cette fois-ci, définitivement.